"En regardant autour d’elle, Nora ne trouva pas la silhouette de l’Ermite. [...] Le poste radio et les différents outils de la console étaient tous éteints. [...] Profitant du fait d’être seule, et pour s’occuper l’esprit, Nora décida d’explorer un peu la station."

Crédits Couverture : Photo by Zane Lee on Unsplash.

 

La Station (Chapitre 4)

 

Nora fut réveillée brusquement par un claquement de porte. Après quelques secondes, elle commença à reprendre ses esprits. Elle était toujours recroquevillée sur le fauteuil, son livre dans une main. En se redressant, son corps lui rappela la position peu confortable dans laquelle elle s’était assoupie. Elle essaya de se redresser en étirant sa nuque et son dos, encore endoloris par sa petite sieste improvisée. Elle lâcha son livre qui s’écrasa au sol. L’espace d’un instant, elle regretta de ne pas avoir marqué le numéro de la page où elle s’était arrêtée. Puis elle se dit que, finalement, cela lui donnait une excuse pour ne pas le continuer.

La jeune femme regarda autour d’elle. La station était plongée dans la quasi-obscurité. La neige obstruait totalement les fenêtres, laissant à peine passée une faible lumière tamisée. Mais si la station était aveugle, elle n’était pas muette. Le blizzard battait la petite habitation sans relâche, faisant grincer la moindre surface, comme si la station implorait qu’on la laisse tranquille. Nora préféra oublier cette image, essayant de se rassurer en se disant que ce complexe avait traversé des périodes plus difficiles et qu’il devait être suffisamment résistant. Puis elle se rappela que si elle était là, c’était justement pour corriger un problème. Elle refoula aussitôt cette idée, préférant ne pas entacher l’idée réconfortante d’un bâtiment invincible.

Nora attrapa son téléphone pour prendre connaissance de l’heure qu’il était. En l’allumant, elle tomba sur un message. Dès qu’elle l’aperçut, elle soupira et éteignit son téléphone avant de le poser retourné sur la table. Elle se rendit compte qu’elle n’avait pas pris le temps de lire l’heure, mais elle ne reprit pas son téléphone pour vérifier.

En regardant autour d’elle, Nora ne trouva pas la silhouette de l’Ermite. Les bruits du vent et les grincements l’avaient totalement distraite du fait qu’elle était seule. Le poste radio et les différents outils de la console étaient tous éteints. Le bureau et la table à manger étaient toujours couverts de notes et de schémas, comme à leur habitude. Profitant du fait d’être seule, et pour s’occuper l’esprit, Nora décida d’explorer un peu la station.

Le complexe était composé de très peu de pièces. Elle connaissait déjà la plus importante : la pièce principale, qui rassemblait bureau, cuisine et salle à manger. Autour de ce salon gravitait les autres pièces. Sur chaque porte se trouvait un post-it sur lequel figurait un nom alternatif pour chaque endroit de la station. Andreas avait dû renommer chacune d’entre elle. Après tout, on pouvait considérer cet endroit comme sa seule et véritable maison, puisqu’il y vivait seul la majorité de l’année, il avait donc tout à fait le droit de renommer les différentes pièces du bâtiment. C’est ainsi que Nora apprit que l’entrée avait été rebaptisée « le Sas », le salon « le Quartier Général » et la salle de bain « les Thermes ». La station possédait 2 chambres. L’une, dont la porte était fermée, avait été rebaptisée par l’Ermite « l’Observatoire ». La jeune femme en déduisit qu’il s’agissait de la chambre d’Andreas. La porte fermée confirma son hypothèse selon laquelle il était parti se reposer. La seconde chambre, où elle osa s’aventurer, n’avait pas de surnom.

La chambre sans nom était une petite pièce dont le mobilier était très sommaire : 2 lits simples et 1 armoire. Les lits étaient défaits, les draps et les couettes disposés sur le matelas nu. L’unique fenêtre, situé au pied d’un des lits, donnait sur le devant de la station. Cette façade étant à l’abri du vent, la neige n’avait pas totalement bouché la vue. En regardant à travers la vitrée, Nora discerna, à travers la tempête, la silhouette imposante de l’antenne radio. Elle avait pu l’apercevoir en arrivant à la station et se revit descendre en rappel depuis l’hélicoptère le matin même. Les conditions climatiques empêchaient d’entretenir un héliport digne de ce nom, mais Nora était sûr qu’Andreas avait donné un nom à cet espace entre le bâtiment, la falaise et l’antenne : « l’Aéroport » ? « La Poste » peut-être, puisqu’il y recevait sa cargaison hebdomadaire… Nora s’amusa à imaginer tout un tas de noms farfelus que l’Ermite aurait pu donner à cet endroit.

Elle eut alors une illumination. Si l’Ermite posait des post-its pour marquer le nom des pièces aux portes de ces dernières, il devait peut-être y avoir un post-it sur la porte d’entrée ! Sur la pointe des pieds, elle se rendit au Sas. Si Andreas se reposait, elle ne voulait pas le déranger. Même si les bruits de la Station devaient largement couvrir le bruit de ses pas.

Quand Nora entra dans le Sas, elle sentit que la température y était beaucoup plus basse. Elle comprit aussitôt la fonction et le nom de cette pièce. Pour sa plus grande déception, la porte ne possédait pas de petite note. Se promettant de poser la question à Andreas, elle décida de surnommer l’extérieur « l’Héliport » en attendant sa réponse. Au pied de la porte d’entrée, Nora remarqua une immense flaque d’eau, où on distinguait encore un peu de la neige qui avait dû s’infiltrer et fondre pour créer cette belle flaque dans laquelle la jeune femme manqua de tremper ses chaussettes. Préférant éviter de se balader pieds nus avec cette température, elle sortit du Sas et retourna au Quartier Général. Sa visite des lieux terminée, le silence revint de plus belle. Voulant à tout prix éviter de se retrouver de nouveau isolée, entourée des craquements du bâtiment qui endurait les épreuves de la nature, Nora décida de retrouver une activité à faire. Après tout, elle n’avait pas fini d’explorer la Station. Il restait une pièce qu’elle n’avait pas vu.

Doucement, elle s’approcha de la chambre de l’Ermite. « L’Observatoire » l’avait-il nommé. Ce nom fit sourire Nora. Elle regarda la poignée. Sa curiosité était forte, mais elle se sentait un peu coupable de violer l’intimité de son hôte. La station grinça, comme pour l’encourager à jeter un coup d’œil. De nouveau, la jeune femme fut prise d’un frisson dans le dos en entendant ce bruit sinistre. Elle posa sa main sur la poignée et poussa légèrement la porte.

La chambre d’Andreas était relativement similaire à l’autre chambre : 2 lits et 1 armoire. Le lit face à la fenêtre était fait proprement, surement là où l’Ermite dormait. La fenêtre devait donner sur la vallée, détermina Nora de sa position dans la chambre. Quand la météo ne cachait pas la vue, cette dernière devait être imprenable. Nora comprit pourquoi l’Ermite avait nommé sa chambre comme ça. La pièce était très bien rangée, ce qui contrastait cruellement avec le Quartier Général. Quand son regard se posa sur l’armoire, Nora se dit que celle-ci devait être aussi bien rangée que la bibliothèque. Andreas avait dû réussir à contenir l’organisation chaotique de sa chambre à ce simple meuble. Alors que ses pensées allaient à imaginer comment l’armoire était organisée, la jeune femme se rendit compte qu’il manquait quelque chose de crucial dans cette chambre : son occupant. S’il n’était pas dans sa chambre, où pouvait-il être ?

Nora revint dans la pièce principale. Quand elle s’était rendu compte que l’Ermite n’était pas là, la station semblait avoir rétréci. Son regard se posa sur la console et la radio. Aucun voyant n’était allumé. Légèrement intriguée, et cherchant toujours à tromper l’ennui, elle s’assit au bureau et essaya d’allumer la radio. Après quelques manipulations hasardeuses, elle arriva à allumer l’appareil. Mais elle ne perçut aucun bruit dans le combiné. Elle essaya de changer de fréquence, passant par tout le spectre que proposait la radio, mais à aucun moment le bruit blanc ne fut dérangé. Une idée qui lui trottait dans la tête commençait lentement à gagner en crédibilité : la radio était cassée. Nora se leva et jeta un œil au Sas. Les affaires d’Andreas n’y étaient plus. Il était sorti, surement pour réparer l’antenne radio. Cette même antenne que Nora avait aperçu depuis la fenêtre de la chambre sans nom. Mais sans apercevoir dans le même temps la silhouette pourtant imposante de l’Ermite. L’angoisse de la jeune femme se mit brusquement à gagner du terrain. Mais ce n’était plus la simple perspective de passer une nuit dans cette endroit qui l’angoissait, mais celle que son hôte ne resta coincé dans la tempête et ne puisse pas revenir.

En formulant ces pensées, Nora eut un éclair de lucidité. Aussitôt, les craquements ne semblèrent plus si assourdissants et le temps ne sembla plus aussi déformé. L’espace d’un instant, elle gagna une conscience étonnante du temps qui venait de s’écouler depuis son réveil : il s’était passé bien plus d’une demi-heure. Elle remarqua aussi la luminosité largement décroissante dans l’habitacle. Alors, qu'à l'origine, elle mettait ce phénomène sur le compte de la tempête qui obstruait les fenêtres, elle finit par se rendre compte que c’était le soleil lui-même qui commençait à disparaitre. La nuit allait bientôt tombée. Andreas ne serait pas sorti seul si tard. Il semblait certes dans son monde, mais loin d’être un idiot. Il vivait ici. Il lui était arrivé quelque chose ! Cette idée eut l’effet d’un électrochoc pour Nora. Elle courut dans la chambre sans nom et essaya d’apercevoir l’antenne. Elle était toujours là, fièrement dressée contre les éléments. Mais en dehors de cette silhouette grise au loin, la jeune femme n’aperçut rien d’autres.

Elle se rua dans le Sas. Elle enfila toutes les couches qu'elle avait amené avec elle et attrapa en plus un des manteaux d’Andreas pour se protéger contre le vent et le froid. Le blouson était bien trop grand pour elle, mais la protégerait bien mieux que le sien. Elle laça fermement ses chaussures et posa sa main sur la poignée. Elle inspira profondément, écoutant le bruit du vent siffler dans les interstices de la porte. Elle imagina son parcours dans sa tête. Elle ne devait pas se perdre. Elle pourrait attendre ici, à l’intérieur, attendre que l’Ermite ne revienne. Mais une voix dans sa tête lui hurlait que ce n’était pas la chose à faire. Elle affirma sa prise sur la poignée et poussa la porte. Bloquée par le vent et la neige, Nora dut redoubler d’effort pour ouvrir la porte. Le vent l’accueillit en s’engouffrant dans la station, balayant tous les vêtements entasser dans la petite pièce.

Nora posa un pied dehors. Dès qu’elle lâcha la porte, celle-ci se referma en claquant. Le froid attaqua aussitôt ses pommettes et son nez à peine protégés. Elle sentit l’air vif lui lacérer le visage. Puis, un pas après l’autre, elle tenta de se frayer un passage dans la poudreuse qui lui montait jusqu’aux genoux.

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