"Andreas commençait à dire des choses sans qu'elle ne lui demande. Nora voulut exploiter ce filon tant qu'elle le pouvait. Elle ne savait rien de son hôte et voulut en profiter pour lui poser une question qui la démangeait : 'Pourquoi êtes-vous venus vivre ici ?' "

Crédits Couverture : Image par Hans Braxmeier de  Pixabay.

La Station (Chapitre 3)

 

Les minutes, puis les heures passèrent. Perdue dans son roman, Nora ne vit pas le temps passé. De temps à autre, elle levait la tête, mais à chaque fois, elle tombait sur le même tableau : Andreas, enfoncé dans sa chaise, face à une fenêtre complétement obstruée par une tempête qui battait inlassablement la carcasse de l’habitation. Si le tableau de bord du météorologue ne s’était pas mis à sonner, elle serait surement restée comme ça encore plusieurs heures.

« Salut… »

Nora leva le nez du livre quand elle entendit la voix d’Andreas. Il était revenu à son bureau, le casque à moitié sur les oreilles, jouant avec un crayon de la main gauche. Elle regarda par la fenêtre, la tempête était toujours là. Elle regarda son livre et se rendit compte qu’elle avait déjà parcouru plus d’une centaine pages. Elle lisait vite, mais quand même…

Elle crut discerner une voix au loin. Andreas ne réagissait pas, comme à son habitude. Après quelques minutes de silence, il répondit simplement : « D’accord… » Et reposa le casque. Nora se demandait ce qu’il y avait, mais elle n’osa pas ouvrir la bouche. Elle s’était faite happée par le silence omniprésent du lieu, et maintenant, même si son propriétaire l’avait déjà fait, elle n’osait plus le briser. Andreas se leva, s’étira un peu et se dirigea vers la partie cuisine de la pièce. Nora le suivit du regard…

Il ouvrit un placard et regarda ce qu’il contenait. Il se retourna vers son invité et soutint son regard pendant quelques secondes. Nora, toujours un peu mal à l’aise à cause de ses yeux perçant, détourna le regard.

« Du riz ? »

« Euuh… Pourquoi pas… »

Andreas sortit du placard un gros paquet de riz et se mit à faire la cuisine. Nora remarqua qu’il avait aussi sorti une boîte de sauce tomate. Mais elle n’avait pas cherché à lui faire remarquer qu’il ne lui avait pas demandé son avis pour l’accompagnement ; elle savait que ça ne servirait à rien. Dans le meilleur des cas, il aurait surement répondu « En effet » ou alors juste « Oui », en continuant à faire ce qu’il faisait. Nora rit à cette idée, car elle l’imaginait parfaitement formuler ces réponses. La jeune femme sortit son portable de sa poche, elle ne l’avait pas touché depuis qu’elle était ici. Aucun réseau bien sûr… Sur son écran de verrouillage trônait ce message qu’elle n’avait pas encore ouvert. Après une courte hésitation, elle le supprima de l’aperçu. Elle en profita pour regarder l’heure : 15h passé ! Ça faisait déjà plus de 6 heures qu’elle était arrivée. Maintenant qu’elle y pensait, elle avait faim. Elle se leva et décida d’aider son hôte à préparer le repas.

Elle alla vers les placards et commença à farfouiller dedans.

« Au-dessus de l’évier… »

Nora suivit l’indication d’Andreas et y trouva les assiettes qu’elle cherchait.

« Les verres sont à droite. Les couverts ici. » L’Ermite sortit du tiroir qui était sous la plaque de cuisson 2 couteaux et 2 fourchettes qu’il posa sur le plan de travail.

« Euh… merci… » Nora s’avoua légèrement étonnée. Andreas n’était peut-être pas des plus à l’aise dans les relations interpersonnelles, mais il était quand même doué d’un bon don d’observation.

Elle alla vers la table. Là, elle observa toute la paperasse qui s’y amoncelait. Elle empila la vaisselle sur le petit espace libre et commença à considérer le reste. Il lui fallait dégager un espace et elle réfléchissait à un moyen de le faire sans tout désorganiser. Andreas, lui, s’était retourné et adossé au plan de travail, la mine légèrement moins morne. Nora se dit qu’il devait trouver amusant de la voir ainsi réfléchir.

A chaque fois qu’elle tendait la main vers une feuille, elle se ravisait aussitôt. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle sentait que chaque chose était à sa place. Est-ce que le temps passé ici l’avait rendu illuminée ? Ou simplement qu’après s’être immergée dans l’environnement d’Andreas, elle avait fini par comprendre un peu mieux sa manière de penser. Quand le minuteur sonna, l’intéressé soupira. Il égoutta le riz et alla aider la jeune femme qui s’arrachait les cheveux sur ce problème de logistique. Elle le vit prendre les feuilles et les positionner sur des piles, parfois en diagonales, parfois perpendiculairement. Le peu de logique qu’elle avait réussi à établir éclata en morceaux. Et pourtant… tout conservait ce caractère ordonné. Elle décida de sortir ces idées de sa tête pour ne pas devenir folle.

Les deux nouveaux colocataires s’installèrent à table, face à face. Ils mangèrent en silence. Nora put continuer à observer Andréas le Géant dans son environnement, tel un reporter animalier : ses couverts semblaient ridiculement fragiles entre ses mains fortes. Pourtant, il mangeait avec une extrême délicatesse. Il veillait à ne rien faire tomber, à ne rien salir. En même temps, d'ordinaire, il devait manger entouré de feuilles de notes et il ne devait pas spécialement vouloir qu’elles soient salies. C’était tout de même étonnant autant de paperasse. De ce qu’elle avait pu voir jusqu’alors, le boulot de météorologue ne nécessitait pas autant de papiers : aujourd’hui, beaucoup de choses se faisaient numériquement. Peut-être faisait-il partie de ces inconditionnels du papier, qui refusent, contre vent et progrès, d’avoir recours aux outils modernes que tout le monde utilise. Plus le jour avançait, plus Nora se faisait une image précise de cet étrange individu.

« Merci… »

Nora s’étonna d’entendre ces mots sortir de la bouche d’Andreas. Elle recentra son attention pour l’écouter parler.

« Merci de ne pas avoir mis le désordre sur la table. »

L’ironie de la phrase la fit sourire. Son interlocuteur remarqua son sourire. Il continua.

« Les autres ont tendance à tout changer. »

« Vous n’aimez pas qu’on touche à vos affaires ? »

« Je m’en fiche… tant qu’on les laisse où elles sont. »

Andreas commençait à dire des choses sans qu’elle ne lui demande. Nora voulut exploiter ce filon tant qu’elle le pouvait. Elle ne savait rien de son hôte et voulut en profiter pour lui poser une question qui la démangeait :

« Pourquoi êtes-vous venu ici ? »

Andreas la regarda dans les yeux, plongeant son regard au plus profond du sien. Essayait-il de lire ses pensées ? Nora voulut le lui rendre, mais elle n’arrivait pas à soutenir son regard, il était trop… trop… inerte. La lueur de bienveillance qu'elle avait crut y discerner juste avant avait disparu.

Andreas se leva et débarrassa la table, ne laissant que son verre à Nora, et alla faire la vaisselle. La jeune femme resta sur sa chaise tout du long. Il ne répondit pas à la question.

Quand il eut fini, il retourna à son bureau et à son travail. Nora, elle, retourna s’asseoir dans le fauteuil en trainant un peu les pieds et continua son livre. Elle n’était pas une grande fan du genre fantastique, mais elle n’avait pas envie de se replonger dans la jungle de la bibliothèque, au risque de ne pas dénicher quelque chose de mieux.

Et l’après-midi suivit son cours.

Retour à l'accueil